Le paradoxe amusant est que bien souvent, cataloguer une personne de vantarde (qu'elle le soit ou non) permet momentanément de se sentir supérieur puisque cela indique implicitement que personnellement nous nous trouvons humbles (donc meilleurs). En effet selon toute logique, seule une personne humble est légitime à relever la vantardise d’une autre… La personne qui qualifie un tiers de prétentieux devient alors à ce moment précis une personne arrogante voir méprisante et incarne, dans une certaine mesure, ce qu’elle dit rejeter de l’autre (à savoir sa soi-disant supériorité).
Les seules solutions qui m’apparaissent alors envisageables pour ne pas être arrogant sont :
- ne pas se comparer à l’autre ou du moins ne pas aboutir après une comparaison à la conclusion que je lui suis supérieur ou qu'il me soit supérieur
- être sûr d’être purement dans l’objectivité lorsque l’on émet une remarque sur autrui ou sur nous-mêmes
En d’autres termes, l'humilité et l'objectivité sont les deux maîtres-mots pour ne jamais être arrogant.
Pourquoi se comparer de manière systématique?
Comme je l'ai expliqué, la personne qui qualifie une autre de prétentieuse, sans même vérifier la véracité de son propos, laisse, l'espace d'un instant, parler son égo et réagit de manière instinctive. Elle se sent diminuée, dégradée, meurtrie par une réflexion que l'autre émets, une réflexion qui d’ailleurs quand on l’analyse ne la concerne même pas. Si quelqu'un dit : « Je suis un très bon chanteur» ou « je suis un très grand sportif» en quoi ces phrases appellent-elles à la comparaison? Consciemment ou inconsciemment, une autre personne va à tord toujours vouloir mettre en jeux sa propre valeur et se comparer. Cela s'explique par le fait que notre perception est largement égocentrique. En effet tout ce que nous voyons et tout ce que nous pensons, nous le faisons toujours par rapport à nous même.
Pourtant, énoncer que l'on possède certaines capacités (si elles existent) est simplement un constat de réalité qui au départ n’appelle à aucune comparaison. Si je dis : « Je suis un tireur hors pair » cela signifie uniquement que je suis un très bon tireur et non pas que les autres ne savent pas tirer ou qu’ils sont moins bons que moi ou encore que je suis le meilleur. Si je dis : « Je suis quelqu’un de fort » ou « Je suis quelqu’un de cultivé » cela ne signifie absolument pas que les autres sont systématiquement faibles ou non cultivés.
Pourquoi certaines personnes répondent alors : « Arrête de te croire meilleur que les autres.» En quoi énoncer que nous sommes doués pour un domaine particulier est-il synonyme de supériorité? Dotant plus que chacun est doué pour quelque chose... C’est l’interlocuteur qui créer cette comparaison et cette idée de supériorité dans sa tête. On peut très bien affirmer être bon en soi sans chercher à comparer.
Krishnamurti a dit un jour :
« Toute comparaison relève ainsi de la catégorie de l’imaginaire leurrant. Toute comparaison est un trompe-l’œil sur le réel qui s’écoule comme un torrent sauvage. Elle s’inscrit dans un ordre social qui ne relève pas de la vérité mais du pouvoir. »
La non dualité serait-elle la clé?
« Quand il n’y a pas comparaison, il y a intégrité. Cela ne veut pas dire que vous êtes honnête envers vous-même, ce qui est une façon de mesurer, mais quand il n’y a nulle mesure, il y a cette qualité de plénitude. L’essence de l’ego, le moi, c’est la mesure. Lorsqu’il y a mesure, il y a fragmentation. Cela, il nous faut bien le comprendre, non comme une idée mais comme une réalité. En lisant ce qui précède, peut-être allez-vous en faire une abstraction, c’est-à-dire une idée ou un concept, mais l’abstraction est une autre forme de mesure. Ce qui est ne mesure pas. S’il vous plaît, mettez tout votre coeur à le comprendre. Une fois que vous en avez saisi la pleine signification, votre relation avec l’élève et aussi avec votre famille deviendra quelque chose de tout différent. En demandant si cette différence est pour le mieux, vous êtes pris dans l’engrenage de la mesure. Alors vous êtes perdu. Vous verrez la différence lorsque vous mettrez réellement la chose à l’épreuve. Le mot même de différence implique la mesure, mais ici nous l’utilisons de façon non comparative. »
Jiddu Krishnamurti : Lettres aux écoles, 18, Courrier du livre, p. 59-60.
Krishnamurti prônait donc la non-comparaison. Ce comportement paraît pourtant quasi-infaisable vu que ce processus nous suit depuis notre plus jeune âge. En effet, à moins de se projeter en permanence dans l’avenir et dans des représentations fallacieuses et fantasmées de la réalité, nous vivons tous notre vie à travers nos pensées et notre pensée fonctionne par mesure et par comparaison. Nos idées, nos pensées proviennent de notre imagination (au sens d’activité cognitive) et de la remémoration incessante du passé constitué de mémoires conscientes et largement non-conscientes et nous comparons ces pensées les unes aux autres. Qu'on le veuille ou non la comparaison reste l’un des éléments clés du processus de reproduction de la pensée et nos expériences passées ou plutôt la façon dont nos expérience passées agissent sur nous au présent conditionnent notre être et notre façon de voir le monde.
Comparer veut aussi quelque-part dire juger et les religions et autres philosophies professent aussi qu’il ne faut pas juger.
« Ne jugez point afin que vous ne soyez point jugés, car on vous jugera du jugement dont vous jugez, et l’on vous mesurera avec la mesure dont vous mesurez ».
Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu chapitre 7, versets 1 et 2
« Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n'aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil ? Ou comment peux-tu dire à ton frère : Laisse-moi ôter une paille de ton œil, toi qui as une poutre dans le tien ? Hypocrite, ôte premièrement la poutre de ton œil, et alors tu verras comment ôter la paille de l’œil de ton frère. »
Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu chapitre 7, versets 3 à 5
Dans le bouddhisme c’est pareil, le jugement doit être laissé de côté. Il y est enseigné qu’il faut renoncer à nos croyances, à nos opinions, à nos idées et que seul le détachement intérieur et le renoncement au moi peut nous conduire à faire l’expérience de la vraie réalité, celle qui n'est pas parasitée par nos interprétations. En d’autres termes, notre réalité n’est pas la réalité! Le psychanalyste Lacan l'avait d'ailleurs remarqué quand il disait que l’esprit humain était toujours partagé entre réel, imaginaire et idéal.
C'est au fond l’un de nos plus grands problèmes, la réalité est multiple, et nous n’arrivons pas à l’embraser dans son ensemble. Le jaïnisme appelle cela Nayavada. Pour couronner le tout cette réalité n’est pas toujours non plus synonyme de vérité ou de véracité. Quand je dis que la réalité est multiple, je veux dire par là qu'elle est plus complexe et bien plus vaste que ce qu'elle laisse supposer de prime abord. La réalité est multiple parce que les choses sont multiples, votre personne est multiple, ma personne est multiple. En prenant mon cas il y a la personne que je crois être, la personne que les autres croient que je suis, la personne que je crois que les autres croient que je suis et enfin la plus importante, la personne que je suis réellement. Encore une fois notre réalité n’est pas la réalité.
En définitive, la clé pour vivre sans heurt serait dans un premier temps de faire preuve d’humilité, c’est à dire prendre conscience que poser un jugement hâtif sur l’autre, être complexe, c’est le réduire à mon champ de vision qui la plupart du temps est assez étriqué ; qu'en clair notre jugement sur cette personne ne pourra jamais englober toute sa complexité. Deuxièmement, il faudrait apprendre à accepter la comparaison dans la relation sans être touché dans notre être avec par exemple une réaction de ce type : "Oui cette personne possède effectivement un talent que personnellement je ne possède pas mais ce n’est pas grave, tout le monde est différent, chacun ses aptitudes. Son talent ne doit pas être chez moi source de frustration mais plutôt source d'inspiration." Enfin dans un stade beaucoup plus avancé, il faudrait finir par adopter ce que prônait le penseur Krishnamurti à savoir se débarrasser du mécanisme de comparaison.