jeudi 14 juin 2012

Esthétique du film Matrix




Sorti en 1999, Matrix est le grand film du début du XXIe siècle.

Pour sa conception et sa réalisation,  les Frères Wachowski  ont puisé leur inspiration dans de multiples univers allant des codes des jeux vidéos au langages informatique en passant par les films de kung-fu hongkongais aux comics puis à la contreculture japonaise avec les mangas (notamment Ghost in the Shell ou Akira) et la japanimation. Ils ont également repris des grands thèmes propres à la religion chrétienne, au bouddhisme, à la mythologie grecque ainsi que des idées tirées d'oeuvres de science-fiction majeures notamment du mouvement cyberpunk comme le Neuromancien de William Gibson, l'univers de la robotique cher à Asimov, mais aussi des oeuvres de littérature enfantine comme Alice aux pays des merveilles de Lewis Caroll. Le film va également aborder tout un tas de grandes questions philosophiques et existentielles à savoir la notion de libre arbitre, de la réalité, de l'illusion, des rêves, de la foi, de l'intelligence artificielle, de l'asservissement de l'homme, de sa désincarnation par une société automatisée, de son combat contre la machine, bref vous l'aurez compris, Matrix est un film fascinant sous bien des aspects. Je vais m'intéresser ici uniquement à son aspect visuel. 

Que ce soit au niveau de la composition, du cadrage, des couleurs, de l'éclairage, du rendu global des scènes, il est clair que Matrix est un film esthétiquement très travaillé. En observant attentivement la plupart des plans, on peut y voir de véritables oeuvres d'art!

Pour bien comprendre comment s'est articulé le travail du directeur photo (Bill Pope) sur ce film, il faut tout d'abord saisir que Matrix évolue entre deux dimensions parallèles, la matrice et le monde réel. Afin de marquer la différence entre le monde réel et le monde virtuel, les créateurs du film (réalisateurs, directeur artistique et directeur photo) ont choisi de donner deux teintes bien distinctes au film, une teinte de vert et une teinte de bleu. Le vert, première couleur affichée sur un écran d'ordinateur fut choisi pour représenter l'univers de la matrice, l'univers du digital, du numérique. Le monde réel, monde post-apocalyptique sans vie plongé dans l'obscurité et régie par les machines est quant à lui dominé par une teinte de bleu (symbole d'une nuit sans fin). 

Dans toute la première partie du film et globalement sur toutes les scènes de nuit, le film s'inspire esthétiquement du cinéma expressionniste allemand. Dans ce cinéma d'avant-garde des années 20 où l'ont tourné en studios fermés, la lumière était artificielle. Tout partait donc de l'obscurité et le but était de modeler des formes par des éclairages basés sur des systèmes d'opposition, c'est à dire un axe d'éclairage principal en clair obscur (1), contrebalancé par un contre éclairage (2) complété si besoin est par des lumières de contre jour (3) et des petites sources ponctuelles (4) pour surligner tel ou tel détail (exemple ci-dessous). Ce style se prête parfaitement aux films angoissants, dramatiques, sombres qui cherchent à mettre en évidence de fortes oppositions (Matrix, Fight Club, Seven, Watchmen, Shutter Island...).

















































mardi 12 juin 2012

Lumières et directions photographiques


Le Directeur de photographie (The Cinematographer)

Le directeur de photographie ou chef opérateur que l'on appelle communément dans le milieu chef op ou directeur photo, c'est la personne en charge de la qualité artistique de l'image d'un film. Son boulot est d'éclairer le film. C'est pour moi l'une des personnes les plus importantes d'un film car sans lui point de lumière et sans lumière point de film puisque la lumière est la condition première du médium. 

Cependant le directeur photo n'est pas la seule personne responsable dans le processus créatif (style visuel de l'oeuvre, l'esthétique). Il travaille en étroite collaboration avec le réalisateur, le directeur artistique, le chef décorateur, le directeur des effets spéciaux, le directeur des effets visuels, le directeur de production, le chef styliste, le chef costumier et le chef maquilleur. Durant la post-production, il va harmoniser chaque scène avec un étalonneur et donner la tonalité finale et générale à l'image d'un film. 

Le rôle principal du directeur photo est de préparer l'éclairage, c'est à dire l'ensemble des moyens techniques qui participent au rendu lumineux final de l'image. Le spectateur n'a bien souvent pas conscience de toutes les étapes qui conduisent au rendu esthétique final d'un film, le chef op lui en connait les moindres détails, son travail va être de concevoir l'ambiance voulue par le réalisateur. En plus d'être le maître de la lumière, il doit parfaitement maîtriser les techniques et les spécificités de chaque caméra, il choisit les optiques de prises de vue, les modèles de caméras, le format du film, les types de pellicules, les projecteurs, les réflecteurs, les diffuseurs, les filtres et tout le reste de l'équipement qui vont éclairer le film. Il dirige et coordonne l'équipe technique image constituée des assistants opérateurs, des cadreurs, des chef électriciens, éclairagistes et machinistes.

La lumière, quel rôle?

La lumière a deux grandes fonctions, elle doit tout d'abord donner à voir (dirigier le regard du spectateur en jouant sur le contraste, les couleurs, l'exposition, la profondeur de champ...) puis elle doit donner à penser (transmettre une émotion, révéler une atmosphère, un état psychique et mental)

Pour maitriser sa lumière, le travail du chef op commence par choisir ses sources lumineuses.

Il y a deux sortes de lumières :

La lumière naturelle qui provient des rayons du soleil durant la journée et de la réflexion du soleil sur la lune la nuit. 

La lumière artificielle qui regroupe toutes les sources d'éclairage créées par l'homme pour se substituer ou compléter la lumière naturelle.


La lumière est caractérisée par :


1- son intensité lumineuse (la luminance), 
2- son type d'émission (continue ou discontinue), 
3- sa répartition spectrale 
4- la concentration de son faisceau.

1- L'intensité lumineuse : 


Elle indique la quantité de flux émis dans une direction donnée, en d'autre terme elle caractérise la puissance d'une source. Elle s'exprime en candela (cd).

2- Type d'émission :

Emission continu : éclairage du soleil, des sources artificielles comme les projecteurs tungstène, HMI, les tubes fluorescents...
Emission discontinu : éclairs lors d'orages ou flash électroniques

3- Répartition spectrale : 

Elle concerne la décomposition du rayonnement lumineux (electromagnétique) de la source. En effet, la source émet une lumière sur l'ensemble du spectre visible mais avec une dominante plus ou moins accentué dans une zone du spectre




4- Concentration du faisceau : 

Notion déterminée par les dimensions de la source et sa distance. Plus une source se rapproche du sujet éclairé moins son faisceau sera dirigé. En parlant de concentration de la lumière, on distingue la lumière dirigée de la lumière diffuse. Une lumière diffuse est une lumière ou un élément est placé entre la source et le sujet a éclairé.

Modifier l'une des 4 caractéristiques de la source aura des effets visuels différents sur la scène d'un film. 

Le contraste  d'une scène :

Une fois que le directeur de photographie a choisi ses sources lumineuses, il lui reste à déterminer le contraste qu'il souhaite obtenir. Le contraste d'une scène c'est le rapport de luminance entre les hautes lumières et les basses lumières. Il est déterminé par trois choses : la nature de l'éclairage, la nature de l'objet éclairé et les ombres.

Nature de l'éclairage :

D'une lumière diffuse on obtient un éclairage doux.
D'une lumière concentrée on obtient un éclairage dure.
Un éclairage est doux lorsque le passage entre la lumière et l'ombre se fait progressivement par des niveaux intermédiaires, par gradation. 
Un éclairage est dure lorsqu'il n'y a pratiquement pas de zone intermédiaire entre l'ombre et la lumière, cette dernière est pratiquement nette et délimitée. Il n'y a pas de gradation dans les ombres.

Trois grands types d'éclairages continu au cinéma : 

Source à incandescence : fonctionne sur surchauffe d'un filament 

Lorsque l'électricité est allumée le courant passe dans un filament généralement du tungstène dans une ampoule contenant un gaz (azote, krypton argon, halogène…), le filament va chauffer et émettre une lumière brillante. Lorsqu'on parle d'une émission de lumière dite chaude, on parle d'incandescence. Les lampes à incandescence produisent une lumière plus chaude que la lumière solaire. Elle fournissent donc une température de couleur plus basse.

La lumière de la scène provient uniquement d'un lampadaire de la ville de L.A. Cela fut possible grâce à des caméras numériques permettant de tourner en très basses sensibilités permettant de s'affranchir de tout éclairages suppplémentaires.


Sources à décharge : fonctionnent par excitation et ionisation d'un gaz néon (couleur rouge), mercure (couleur bleu), sodium (couleur jaune), xénon (couleur blanche). On retrouve dans cette catégorie les lumières de cinéma (Projecteurs HMI). Lorsqu'on parle d'une émission de lumière dite froide, on parle de luminescence.




Sources fluorescentes : fonctionnent par la production d'une décharge électrique dans un tube de verre contenant de la vapeur de mercure à basse pression les tubes fluorescents (marque Kino-Flo)

La lumière de la scène provient de deux lampes Kino Flo (tubes fluorescents) 


L'objet éclairé :

Selon l'objet éclairé, la lumière va réagir différemment. Ce qu'il faut retenir c'est que lorsque les particules de lumières (photons) rencontrent un objet, ce dernier peut soit transmettre cette lumière, l'absorber ou la réfléchir. Techniquement, il y a simple transmission si la lumière traverse la surface de l'objet en angle droit sinon on parle de réfraction (la vitesse de propagation des photons varie dans ce cas en traversant l'objet). Mise à part les objets comme les miroirs, la plupart des objets absorbe la lumière. 

La couleur :

La couleur que l'on voit sur chaque choses nous provient en réalité de la longueur d'ondes réfléchies par rapport aux ondes absorbées. La couleur en soit n'existe pas, elle n'est que l'interprétation subjective qu'à l'oeil d'une ou plusieurs ondes lumineuses qui vibrent à une certaine fréquence.

Les ombres :

L'éclairage concerne tout aussi bien les endroits éclairés que les endroits où la lumière est absente. Les notions de volume et de forme des objets nous sont transmis par les ombres. La densité et la gradation de ses ombres sur un objet détermine ce que l'on appelle le modelé.

En conclusion, on voit que c'est la maitrise de la qualité et la quantité de lumière qui va permettre au chef op d'obtenir les effets artistiques souhaités sur ce qui est filmé.