lundi 10 juin 2013

La photographie de portrait



Pourquoi avoir choisi la photographie de portrait?

La nature, la lumière, les visages et la musique sont les principales choses dans la vie que j'aime contempler et que je considère comme essentiel à mon équilibre. Je ne sais pas comment l’expliquer mais un visage a pour moi quelque chose de magique. C'est la première chose que l'on voit en venant au monde et c'est aussi le miroir que l'on tend involontairement aux autres en permanence. C'est en quelque sorte le siège visible de notre humanité puisqu'il lui reflète nos émotions et nos sentiments et c'est aussi la porte de la relation à l'autre.

La structure géométrique d'un visage mais aussi l’incroyable richesse de nos expressions faciales, leurs multiples variations et l’instantanéité avec laquelle elles peuvent changer, tout cela me passionne. Ces réactions se manifestent plus rapidement que le temps que met notre cerveau à réagir. Elles peuvent par exemple exprimer des émotions que l'on souhaiterait vouloir dissimuler, pourtant, durant une fraction de seconde elles apparaissent sur notre visage. Toutes nos expressions deviennent par la suite empreintes dans notre peau ; tout s'additionne, se marque progressivement et les expressions que l'on a connu avec le plus d'intensité seront plus marquées que les autres. Notre visage devient en quelque sorte le miroir des choses que nous avons vécu, une sorte de carte que l’on pourrait déchiffrer.

Je serais toujours subjugué par la profondeur et l’intensité que peut révéler un visage humain. Comme disait le philosophe Georg Christoph Lichtenberg : "La surface la plus passionnante de la terre, c'est, pour nous, celle du visage humain".

Circée, 2013

Lorsque l’on est passionné à ce point par les visages on finit inévitablement par faire de la photographie de portrait, c’est aussi simple que ça. Le portrait et le reportage sont d’ailleurs les seuls domaines de la photographie qui me fascine. Ce sont en réalité les deux disciplines avec le nu qui s’intéressent réellement à l’humain dans son être véritable, ce qu’il est réellement avec ses perfections et ses imperfections, ses forces et ses fêlures. La plupart du temps avec la photo publicitaire, la photo de mode ou la photo de beauté on est toujours dans une recherche de perfection qui n'existe pas en réalité. On est sur de la magnificence, de la théâtralisation, du faux-semblants, cela ne me touche en rien… Je n'aime pas la sophistication et la mise en scène. Après j'aime voir cela chez les autres, la couleur, le glamour, la mode, tout ça des photographes le rendent tellement bien, moi après ce n'est pas ma sensibilité. Ce qui me touche c'est l'authenticité, j'aime voir de l'émotion, des choses naturelles, vraies et bouleversantes.

Je suis également fasciné par les belles formes, les belles lignes, les belles courbes d'un visage ou d'un corps, tout cela m'hypnotise. D'un point de vue purement géométrique le visage n'est qu'un ensemble de surfaces, de volumes, de traits et de forme que j'analyse. Devant mon regard, la personne ou plutôt sa plastique devient alors l'espace d'un instant objet, objet plaisant voir magnifique, objet en trois dimensions que je vais tenter d'agencer au mieux dans un rectangle pour le restituer en deux dimensions.
Eve, 2013


Pourquoi la photographie est-elle si importante pour vous?

Notre monde est bruyant, superficiel et pas forcément joyeux tous les jours. Prendre une photographie c'est en quelque sorte faire une pause, s'évader à l'intérieur même d'une fraction de seconde où tout semble être en harmonie, c'est prendre conscience de l'essentiel. Pour moi, l'intensité d'une bonne photographie est accentuée par le coté nostalgique qu'elle dégage. C'est là que c'est intéressant parce que cette impression de nostalgie ne peut avoir lieu que si l'on est touché par quelque chose que l'on aime ou que l'on a aimé. La photographie est donc en réalité un acte d'amour, que cela soit conscient ou non et regarder un cliché est en quelque sorte une incitation à l'empathie, à la bienveillance. On ouvre une porte et on vous invite à rentrer, après libre à vous, spectateur, d'entrer ou de rester sur le pas de la porte. Les plus belles photos sont celles qui m'ont donné envie d'entrer.

Le repos du guerrier, 2012


Comment décririez-vous votre style?

De manière générale, j'aime les choses simples, sobres et authentiques. La lumière est l'élément auquel j'accorde le plus d'importance, c'est le prolongement de ma sensibilité artistique. La lumière naturelle est pour moi l'outil de la sincérité et du réalisme par excellence. Cette lumière aura toujours pour moi ce caractère divin, sacré, mystérieux, son langage nous renvoi à une sensibilité difficilement explicable qui pourtant marque notre inconscient. Tout comme le classicisme en sculpture, j'aime apporter de la noblesse à mon sujet, révéler sa puissance. La lumière du soleil, le cadrage et la composition m'aident à faire ressortir cette force, cette beauté dans le modelé du visage et du corps. Ensuite, j'essais toujours d'apporter à mes portraits une pointe de mélancolie, de nostalgie et d'y imprégner ce que j'appelle une élégance bohème, c'est à dire une touche reposante presque contemplative, cet aspect naturel et émouvant qui séduit au premier regard. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, j'aime beaucoup les choses non préméditées.



I have a dream, 2009



Pourquoi le noir et blanc?

J'y trouve une simplicité, un contact plus direct avec mon sujet. Une photographie noir et blanc c'est comme lorsque l'on écrit un poème et que l'on enlève les mots dont on n'a pas besoin. La couleur pour du portrait cela ne m'intéresse absolument pas, je trouve cela commun, ce n'est que la surface des choses. Cela peut être vraiment joli et raffiné à sa manière, mais c'est différent du noir et blanc. D'autant plus que dans l'inconscient collectif le noir et blanc connote immédiatement le passé, le passé révolu et je trouve que l'on regarde une chose avec beaucoup plus de respect et de profondeur lorsque celle-ci appartient au passé. Ce qui m'intéresse dans mes portraits ce n'est pas de montrer des couleurs, mais de trouver et de capturer quelque chose d'émouvant, de fort et d'authentique dans l'être humain. Un regard, un sourire, une attitude, pas besoin de couleur pour cela, un sourire reste un sourire.

En général, je trouve que la couleur donne beaucoup trop d'informations à la lecture d'une image ou du moins des informations inutiles à l'histoire que je souhaite raconter. Quand on regarde bien, l'essentiel est transmis par le noir et blanc. La couleur banalise et actualise un moment magique qui ne se reproduira jamais plus. Je vois dans les couleurs comme une sorte d'écran de fumée qui empêcherait de voir l'essentiel ; comme si le noir et blanc avait lui cette faculté de de transpercer la chair et de dévoiler une parcelle de l'âme.


Salomon, 2013


D'un point de vue psychologique, la notion d'abstraction est également beaucoup plus forte en noir et blanc, l'absence de couleur emmène immédiatement le lecteur dans un univers complètement déconnecté de la réalité. 

En noir et blanc, la photographe humaniste Sabine Weiss disait que l'esprit était plus libre pour approfondir, dépasser l'anecdote pour aller vers une abstraction plus dépouillé. Je suis d’accord avec cela, l'approche est plus directe qu'avec la couleur, plus épurée et renferme une sorte de « vérité touchante ». Aucune couleur flatteuse n'est là pour distraire l'attention de ce qui compte réellement, la richesse et les infimes variations du visage humain.

De manière purement esthétique je trouve aussi que la magie de la lumière et des ombres en noir et blanc cisèlent et sculptent les visages et les corps de manière extraordinaire. Cela confère à l'image beaucoup plus de personnalité, de force et d'émotion. Pour finir, j'aime le coté éternel et intemporel que procure l'absence de couleur sur une photographie.

Le poids du passé, 2012


Que représente pour vous l’acte photographique ?

Il y a tellement de choses magnifiques que les gens ne voient pas car ils ne savent pas regarder. La photo aide à prendre du recul et à apprécier réellement les choses et les êtres que nous croisons. Je ne suis pas une personne très démonstrative dans la vie, je suis hypersensible et donc plutôt quelqu'un de réservé ; voilà pourquoi je me sens si bien en tant que photographe, nul besoin d'expliquer verbalement ce que l’on ressent pour les gens, une image vaut mille mots comme on dit.



Introspection, 2011


Qu’aimez-vous faire ressortir chez les personnes que vous photographiez ?

Habituellement ce que je préfère c'est photographier des femmes et les révéler fortes. Inversement, je préfère photographier un homme et le révéler fragile. Prendre le contre pied par rapport aux choses trop évidentes, surprendre c'est ça aussi qui m'intéresse. J'aime faire tomber le masque, trouver la véritable essence de l'être, ou plutôt une infime partie, saisir une émotion profonde, une partie touchante de la personne qui est devant moi ; mais encore une fois, je ne cherche pas quelque chose en particulier lorsque je photographie quelqu’un. Il est vrai que je peux avoir une idée de ce que je souhaiterai mettre en avant mais pendant la prise de vue quelque chose de complètement différent peut avoir lieu. On ne peut pas savoir à l’avance, il faut être "disponible" comme disait Cartier-Bresson. Avedon lui disait « Always leaving room for the unexpected* ». Après du moment que j’ai pu saisir au vol quelque chose de sincère, de vrai et de touchant, j’estime avoir réussi mon travail.

* "Toujours laisser une place pour l'imprévu, l'innatendu"


Sarah, princesse juive, 2013


Votre travail photographique délivre-t-il un message ?

Lorsque je prends une photo, je ne pense pas que sur le moment je cherche à dire quelque chose de particulier ou à affirmer quoi que ce soit, du moins consciemment. Je tente simplement de sauvegarder, d'extraire du temps un instant précieux à mes yeux. Je m'efforce de créer une belle image d'un moment qui m'a ému. Cette image, par la suite, peut en effet avoir du sens, véhiculer un message auquel je n'avais pas forcément songé au départ et qui dépend ensuite de l'interprétation de chacun. Personnellement, les interprétations que feront les autres de mes photos cela m'est complètement égal au fond… Jeanloup Sieff disait : « Si les autres aiment mes photos tant pis ». Cela résume assez bien le propos je trouve. Des gens pourraient se dire que sa réaction était vaniteuse alors qu'il voulait dire par là qu'il faisait avant tout des photos pour se faire plaisir à lui-même. Je ressens la même chose, si j'ai décidé d'appuyer sur le déclencheur de mon appareil c'est parce qu'à un moment précis j'ai été ému, c'est tout ce qui importe ; durant ce moment précis, durant cet "instant décisif" comme disait Cartier-Bresson, le spectateur n'existe pas. Pierre Movila a dit un jour : "Une photographie, c'est un arrêt du cœur d'une fraction de seconde", c'est de notre coeur et notre sensibilité propre dont il est question.

Après, qu'on le veuille ou non, la photographie restera toujours un rapport à l'autre ; que ce soit avec la personne photographiée ou avec les spectateurs qui regarderont plus tard les images ainsi saisies. C’est le grand coté paradoxal de la photographie! C’est une discipline assez individuelle, égoïste parfois, on fait avant tout de la photo pour le plaisir personnel de créer une belle image ; mais après on le fait aussi pour les autres, en partageant des instants avec les personnes photographiées et en montrant par la suite son travail au monde. C'est en ce sens qu'une fois capturée et diffusée, on peut dire que notre photographie nous échappe ; même si elle fait partie de nous, elle ne nous appartient plus selon moi. Notre "image sentiment" devient "image sentiments" car elle est donnée au collectif. Une photographie est donc en somme l'emprunte physique d'un processus psychique propre à l'auteur, une preuve matérielle d'un sentiment immatériel ressenti durant un instant éphémère.

De manière plus intime et personnelle, je pense que la photographie est également un témoignage de foi. Je photographie les gens pour dire implicitement, regardez toute cette beauté, toute cette richesse, toute cette perfection, toute cette diversité, mais aussi toutes ces régularités que l'on retrouve de part le monde! Comment ces choses aussi inouïes, aussi belles et aussi touchantes pourraient-elles provenir du hasard? Cela n'a pas de sens... Tout cela est forcément l'oeuvre d'une puissance créatrice supérieure! Je suis quelqu'un de profondément croyant, pas au sens que l'entendent les religions, mais il est évident pour moi qu'il y a quelque chose de plus beau et de plus grand quelque part. Je pourrais en débattre des heures...

Nefertiti, 2013


Que vous apporte la photographie?

C'est assez étrange parce que je dirais que la photographie m'a permis à la fois de m'ouvrir d'avantages aux autres et dans un même temps de m'en séparer encore plus... A force d'aiguiser son regard sur les choses, notre réceptivité et donc notre sensibilité s'accroît. Notre façon de percevoir en détails des formes, des surfaces, des cadrages, des compositions, de saisir des variation dans une lumière, de capter immédiatement l'esthétique d'une structure que cela soit dans son ensemble ou en morcellisation et enfin de savoir comment la représenter pour qu'elle soit magnifiée, tout cela démontre que nous voyons des choses que les autres n'ont pas appris à voir et cela influe nécessairement sur notre manière de nous comporter. Toutes ces petites choses font que vous pouvez facilement passer pour quelqu'un de différent ou comme on dirait maintenant de perché, surtout quand vous êtes à l'origine déjà bien souvent dans la lune (sourires). Après je dirais que la photo m'a aussi donné plus confiance en moi. Elle m'a permis par exemple d'accepter le fait de complimenter sincèrement une personne que je ne connais pas sans forcément derrière me trouver ridicule, lourd ou louche. Souvent, j'ai remarqué que l'on a tous tendance à ne pas dire ce que l'on pense, même lorsque ce sont des choses positives, surtout lorsque ce sont des choses positives en réalité... Quand ce que l'on pense peut faire du mal à quelqu'un, efforçons-nous de le garder pour nous, mais quand nos pensées sont sincères, agréables à dire et à entendre pourquoi se priver? Si tu es en compagnie d'une amie et que tu la trouve belle quand elle sourit, pourquoi ne pas lui dire? Si un film t'a bouleversé et t'as fait pleurer, pourquoi vouloir le cacher? Au contraire il faut en parler, c'est pour toutes ces choses qu'il est si bon de vivre! Si tu es dans le métro et que tu trouves que la personne en face de toi a de très belles mains, pourquoi ne pas lui dire? Si en marchant dans la rue tu vois tout à coup une personne qui éclipse toutes les autres par son charisme ou sa beauté, pourquoi ne pas l'interpeller gentiment et lui dire qu'elle vient de te marquer? La pratique de la photographie de portraits m'a appris à développer ce coté un peu "rentre dedans" plutôt surprenant au premier abord et à être beaucoup plus honnête envers moi-même et les personnes que je croise. 

La photo m'a aussi permis de faire de belles rencontres. Beaucoup de personnes que j'ai photographié sont devenus mes amis, ce qui rend les photos réalisées encore plus magiques quand on les regarde après coup. Pour terminer, je dirais que la photographie de portrait est devenu en quelque sorte mon plus grand maître à penser, elle m’apprend chaque jour à prendre les gens tels qu'ils sont, sans les juger. Chaque visage est intéressant, chaque visage est unique tout comme l'est chaque personne. Chaque visage a sa beauté, quelque chose de touchant, d'émouvant, c'est ça que je veux dévoiler. Malgré mon coté esthète que je ne peux évidemment nier et avec lequel je me bas souvent, je m'efforce de ne pas avoir de critères, pas de normes, pas de cases dans lesquels je placerai les gens. Je marche au coup de coeur et ce que je recherche constamment c'est une certaine authenticité. Je veux avoir un regard profondément humaniste envers mon semblable. 

Leila, fille marocaine, 2013


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