lundi 21 septembre 2015

L'hypocrisie face au talent, une jalousie voilée


Avez-vous déjà remarqué qu’il est communément admis et accepté d’énoncer une de nos qualités en public mais pas un talent trop prononcé? En fait, tout ce qui touche l’égo du récepteur du message est « interdit ».

Exemples : "Je suis gentille." "Je suis patient."  "Je suis généreuse."  "Je suis ouvert d’esprit." Jamais on ne dirait de ces observations qu’elles sont prétentieuses ou vantardes. La personne qui énonce ces faits se connaît, elle a du recul sur elle-même et elle se décrit tout simplement. Pourtant si la personne dit : « Je suis douée » ou « Je suis forte dans x domaine », on va alors dire que cette personne est prétentieuse.

Exemples :

« Tu es un excellent musicien. » = observation de la réalité, compliment
« Je suis un excellent musicien. » = vanité, présomption

« Tu es un très bon acteur. » = observation de la réalité, compliment
« Je suis un très bon acteur. » = vanité, égo surdimensionné

« Tu es un super avocat. » = observation, compliment
« Je suis un super avocat.» = vanité, prétention

« Tu es irrésistible et tu es un vrai tombeur. » = observation, compliment 
« Je suis assez irrésistible et je suis un vrai tombeur. » = vanité, arrogance, prétention

Le domaine lié à l’apparence connaît le même écueil paradoxale. Si une personne dit d’elle-même un jour : « Je suis belle » ou « Je suis attirante », on va alors lui dire qu'elle n'est pas modeste, même si les autres peuvent lui faire remarquer sa beauté à longueur de journée. Il est donc permis à autrui de remarquer vos talents ou votre beauté et de les énoncer quand ils le souhaitent, en revanche il vous est strictement interdit de mentionner ces attributs directement sous peine d’être cataloguer et juger négativement avec des qualificatifs négatifs tels que vantard, prétentieux, présomptueux ou encore arrogant. 

Changer simplement de pronom lors d’une observation changerait-il tout à coup la réalité? 
Ne serions-nous pas tout simplement hypocrites?

Lorsque l’on analyse deux minutes ces assertions, on observe que la personne qui établit ce constat de prétention n’est pas forcément objective.

Définition de vantard : s’attribuer des qualités, des mérites que l’on n’a pas ou s’accorder une valeur exagérée.
Définition de présomptueux : qui a une trop grande opinion de soi-même
Définition de prétentieux : qui a des prétentions, qui possède une trop haute opinion d’elle-même
Définition d’arrogance : qui manifeste une insolence méprisante

En d’autres termes, le prétentieux, le vantard ou le présomptueux sont dans l’exagération, l’exacerbation du moi et le mensonge. La vraie vantardise, la vraie prétention sont d’ailleurs des comportements que l’être humain adopte pour combler un manque, ce sont des attitudes de compensation. La personne vantarde ou prétentieuse a une posture illusoire sur ce qu’elle est, elle s’idéalise elle-même, elle fantasme sa propre image en s’attribuant des capacités qu’elle n’a pas. Elle rêve sa propre excellence, c’est une hypertrophie du moi comme on dirait en psychanalyse. Cette personne n’est pas du tout dans l’observation mais dans le fantasme, elle divague et a effectivement besoin qu’on la ramène à la réalité.

Que dire par contre de la personne qui n’est ni dans le mensonge ni dans l’exagération? Si la personne est vraiment douée, elle ne fait alors qu’exposer brièvement à voix haute des qualités et des mérites qu’elle possède et que les autres peuvent observer. Cette personne fait donc preuve de réalisme et de discernement et n’a en aucun cas une trop grande opinion d’elle même. Son affirmation repose sur des faits et les faits sont de l’ordre du domaine visible, ils sont attestables et vérifiables (contrairement à la vantardise qui repose sur quelque chose d’imaginaire). Après, si elle décide de mentionner son talent pour implicitement susciter la comparaison, se faire mousser ou se donner un sentiment de force ou de supériorité sur les autres, cette personne reste réaliste dans son constat mais elle est arrogante dans sa façon de penser.

Quoiqu’il en soi, la vantardise, la présomption ou la prétention ne sont en aucun cas des qualificatifs recevables pour qualifier quelqu’un de talent, conscient de son talent et qui énonce ce talent car comme je l’ai dit plus haut ces qualificatifs péjoratifs relèvent toujours du fantasme et se fondent sur une parfaite méconnaissance de l'autre et de nous-mêmes. Ostad Elahi appelait cette image dilatée de la réalité, l’égo illusoire. Au contraire, une personne qui connaît en profondeur son propre caractère et qui arrive à percevoir avec exactitude ses insuffisances, ses faiblesses mais aussi ses points forts, ses compétences et ses réussites, est une personne perspicace qui fait preuve de lucidité sur sa propre condition.

Marguerite Yourcenar disait : « Le véritable lieu de naissance est celui où l’on a porté pour la première fois un coup d’œil intelligent sur soi-même. »

Cette personne n’est donc pas prétentieuse mais objective. Elle peut être égocentrique en revanche mais l'égocentrisme n'a rien à voir avec le talent. Une personne sans le moindre talent ou qui ne s'aime pas, peut tout aussi bien faire preuve d'égocentrisme si elle passe son temps à s'apitoyer sur son sort. L'égocentrique est une personne qui parle tout le temps de lui, que cela soit en bien ou en mal et qui ramène toujours tout à lui. Il veut monopoliser l'attention sur lui. Dans le "pire des cas", une personne qui énonce posséder un talent peut être qualifiée de fière mais en aucun cas de prétentieuse ou de présomptueuse. La fierté n’a rien à voir avec la vantardise ou la prétention. La fierté c’est être dans un état de fort contentement ou de grande satisfaction par rapport à une situation (qui existe). La fierté positive ou négative (c’est à dire modérée ou excessive) est un sentiment légitime puisqu’elle repose sur des éléments réels. La vantardise ou la prétention en revanche sont des sentiments illégitimes dans le sens qu'ils ne reposent que sur des divagations et des extrapolations.

Le but de cette petite réflexion est de vouloir mettre un terme à cette hypocrisie ambiante. Il faudrait en définitive que les gens arrêtent de se vexer et de réagir systématiquement de manière négative ou péjorative lorsqu'il arrive à leurs interlocuteurs de parler d'eux-même en bien . Une personne est autant dans son droit (si ce n'est plus) à parler d'elle-même que les autres en ont de parler d'elle. Il n’est pas question ici de dire qu’une personne doit, à longueur de journées, énoncer au monde qu’elle est douée ou qu'elle possède telle qualité ou telle capacité, cela serait stérile tout en relevant de l’obsession et de la fierté maladive mais tous comme les autres, elle possède un cerveau, le sens du discernement, l’usage de la parole, des yeux pour voir et la conscience d’elle-même ; pourquoi n’aurait-elle jamais le droit d’énoncer une situation ci celle-ci est vraie?

Tout simplement parce que la majorité des gens confondent en permanence vérité/réalité et vantardise. Le simple fait d’énoncer une vérité qui va inconsciemment les diminuer ou d’énoncer une aptitude qui peut leur faire défaut est considéré comme une agression et un étalage de supériorité. L’interlocuteur va alors répondre à cette « agression inconsciente » en caractérisant l’émetteur de prétentieux et de vantard, sauf que cet orgueil ou cette soi-disant vantardise est une pure construction mentale de l’interlocuteur qui en réalité fait preuve de jalousie. La personne n'est plus dans l'objectivité car cette jalousie brouille son jugement.

Ce n’est pas l'éventuel talent de l’autre notre problème, c’est notre perception

Si une personne taxe son interlocuteur de prétentieux ou de vantard lorsque ce dernier se dit talentueux dans un ou plusieurs domaines alors qu’il s’avère effectivement talentueux, la personne qui émet ce qualificatif péjoratif et défavorable n’est plus dans l’objectivité mais dans la divagation, elle refuse d’admettre la réalité. Elle fait preuve d’ignorance, d'aveuglement et elle se ment à elle-même dans le seul but de se rassurer. Elle le fait car elle a besoin de se sentir en contrôle, c’est un processus sécurisant. « C’est parce que je fais le choix de reconnaître que tu as du talent que je me sens en accord avec cette situation ». Si en revanche tu m’imposes cette réalité en disant : « J’ai du talent », non seulement je deviens agacé car je n’ai rien choisi, je ne l'ai pas décidé, mais en plus je me sens instantanément diminué. Je traduis cette frustration, cet agacement immédiat et incontrôlable en te traitant alors en retour de prétentieux.  Le fait de te juger, de te qualifier de prétentieux ou de vaniteux, des attitudes communément admises comme impopulaires et néfastes, apaise alors mon malaise et ma frustration et me permet finalement d’accepter ta remarque qui indéniablement t’avantages. En effet, même sans le vouloir, la personne qui énonce qu’elle possède certaines aptitudes ou certains talents, s’avantage puisqu’en réalité tout le monde ne les possède pas. La personne en face va vouloir alors s’avantager à son tour en la remettant à sa place en la taxant de prétentieuse.

 

Le mécanisme de la jalousie est similaire pour moi à une balance mal équilibrée. Quand la jalousie n'existe pas, tout se passe bien entre deux personnes, la balance est équilibrée. La jalousie apparaît lorsque l'une des deux personnes va par l’un de ses propos ou de ses agissements (parfois même par sa simple apparence physique) déstabiliser l’autre en faisant naître chez lui une gène, un manque, un agacement, une envie. Tous ces affects naissants vont provoquer chez elle un sentiment de diminution, la balance va alors se déséquilibrer. Pour contrebalancer ce déséquilibre, ce malaise mental interne et aussi se rassurer, la personne jalouse va alors réagir excessivement et va verbaliser son affect en jugeant arbitrairement son interlocuteur même si sa réaction (on ne peut pas parler de réflexion) n’est pas justifiée.

Quand on lit des interviews d'actrices ou de mannequins connues pour leur grande beauté par exemple, on constate que dans la majorité des cas, elles ont été victimes lors de leur adolescence de jalousie virulente et de coups bas de la part de leurs camarades de classe. Les personnes jalouses ont en réalité un sentiment d'infériorité face aux personnes qu'elles décrient, moquent, calomnient ou harcèlent. Elles vont alors projeter leur mal être, leur malaise psychologique sur les personnes qu'elles jalousent et vont vouloir que leurs "victimes" connaissent le même mal-être si ce n'est pire. 

Contrairement à ce qu'elle laisse paraître, la personne jalouse possède au fond une faible estime d'elle-même et un profond manque de confiance en soi. On pourrait également parler de frustration et d’envie mais ces réactions émotionnelles découlent finalement toutes deux de la jalousie et la jalousie ne provient que d’une trop grande exacerbation du moi, d'un moi instable.


Origine de la jalousie

La jalousie naît selon moi en trois actes auxquels nous devons ajouter nos défaillances. Il y a tout d'abord une phase d'observation de l'autre ; le moment de la comparaison avec notre propre personne ; puis vient ensuite l'interprétation personnelle que nous allons faire de toutes les données recueillies dans les deux premières phases. La synthèse de ces trois phases observation/comparaison/interprétation couplée à nos peurs et à notre absence de maturité intellectuelle et émotionnelle va alors faire naître chez nous un manque ; un manque par rapport à ce que l'autre possède ; ce qui va causer la jalousie. 

A mon sens, seule l'analyse, l'introspection et la réflexion permettent d'atteindre la maturité intellectuelle et la maturité intellectuelle va nous permettre de prendre du recul sur les situations que nous vivons, de dominer nos passions, nos pulsions, nos sentiments et d'accéder de ce fait à la maturité émotionnelle. Je pourrais décrire la maturité émotionnelle comme un sentiment de sérénité, de neutralité, de calme, de sécurité intérieure face aux situations qui embarrassent l'esprit. La maturité émotionnelle traduit l'état d'une personne équilibrée et autonome dans ses pensées et ses agissements. Une personne est mature émotionnellement quand elle gère ses sentiments, plus exactement quand elle comprend pourquoi elle a tel ou tel sentiment, tel ressentiment, en s'observant de manière neutre. Elle est en revanche immature émotionnellement quand ses sentiments de l'instant la guident et la rendent instable.

Quand nos émotions ne débordent pas, ne nous déstabilisent pas et ne nous font pas agir de manière négative envers nous-même ou envers les autres nous faisons preuve de maturité émotionnelle. Une personne qui ne connait pas la jalousie ou la possessivité par exemple fait preuve d'une grande maturité émotionnelle. Une personne qui par exemple montre de la colère ou même une personne qui masque sa colère afin de paraitre calme ou encore une autre qui masque sa jalousie en dénigrant l'autre, ne fait pas preuve de maturité émotionnelle mais d'instabilité.


Conclusion 

Réfléchissez deux minutes à l'avenir avant de qualifier quelqu'un de prétentieux. Assurez-vous dans un premier temps de connaître la définition des termes que vous employez (cela évite de faire fausse route) et essayez ensuite de voir si cette prétention est réelle ou si elle n'est pas plutôt synonyme d'une jalousie de votre part.


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