lundi 10 septembre 2012

Histoire détaillée de Giordano Bruno


Filippo Bruno de son vrai nom est né à Nola près de Naples en l'an 1548. D'une famille modeste, l'école la plus proche lui donna son instruction en mettant l'accent sur les auteurs classiques, l'étude de la langue et de la grammaire latine. Imprégné d'humanisme, il part à l'âge de 14 ans pour Naples rejoindre l'université publique où il découvre la mnémotechnique, art de la mémoire qui constituera rapidement une de ses disciplines d'excellence. Parallèlement il suit des courts particuliers qui le mettent au coeur des débats philosophiques entre platoniciens et aristotéliciens. Sa culture, alors essentiellement humaniste, s'enrichit d'un apport théologique déterminant.

Le 15 juin 1565, Filippo Bruno entre au couvent San Domenico Maggiore de Naples, prestigieux couvent de frères prêcheurs dominicain. Filppo devint alors un dominicain vivant selon la devise "verba et exempla" (par le verbe et par l'exemple). Huit années plus tard il fut ordonné prêtre et il prit le prénom de Giordano en hommage à son maitre de métaphysique Giordano Crispo. En 1575, il devint recteur en théologie après sa thèse sur Thomas d'Aquin et l'obtention de son diplôme. S'il semble alors aux yeux de tous continuer une vie de dominicain modèle, Bruno dissimule en réalité une profonde rébellion contre le carcan théologique.

Cet esprit de rébellion pouvait s'expliquer facilement par le fait qu'il avait accès à l'une des plus grandes bibliothèques de son époque. Doté d'une mémoire exceptionnelle qu'il appris à perfectionner à l'Université de Naples avec la mnémotechnie, il pu découvrir et emmagasiner dans cette bibliothèque des centaines d'écrits de tous les horizons, ce qui lui permettra de se construire un schéma de pensée hors du commun. Il se forma à de nombreux domaines tels que la rhétorique, la dialectique, la philosophie naturelle, la physique, la chimie, la médecine, la métaphysique, la mnémotechnie, la théologie, l'astronomie et l'astrologie. Sa curiosité sans borne pour toutes les sciences et les philosophies le conduit à compenser les "lacunes" de son enseignement par l'étude de thèmes controversés tels que l'hermétisme, la magie ou la cosmologie. Il était particulièrement adepte des oeuvres de l'humaniste néerlandais Erasme qui affirmait sa liberté de pensée par rapport aux autorités ecclésiastiques. Cet homme pourtant prêtre catholique critiqué vivement l'attitude du clergé et des papes dont les comportements lui semblaient en opposition avec les évangiles. 

Le vagabondage intellectuel de Giordano Bruno le changea a tel point qu'il se mit à remettre en cause tout ce qu'on lui avait jusque là enseigné. Il se mit a critiquer les dogmes religieux notamment le dogme de la Trinité ; déjà durant la première année de son noviciat, il avait décidé d'ôter les images saintes de sa chambre, notamment celles représentant Marie, s'attirant l'accusation de profanation du culte de Marie. Au fil des années, les heurts deviennent de plus en plus durs, il est accusé par son ordre d'avoir lu et étudié des livres interdit par l'Eglises. En février 1576, il sera défroqué par les dominicains qui le forceront à quitter le couvent. Il devra alors fuir car une instruction le déclarant hérétique fut ouverte à son encontre.

Dans un premier temps, il reste en Italie, il survit de 1576 à 1578 en donnant des leçons de grammaire ou d'astronomie, mais sa condition d'apostat (renoncer publiquement à une religion) l'amène à changer fréquemment de ville et de région. Il passera par Gênes, Noli, Savone, on va ensuite le voir à Turin, Venise, Padoue, Brescia. Pour pouvoir survivre il deviendra même un temps garçon de ferme. Fatigué de toujours devoir fuir, il finit par gagner le nord des Alples et s'arrêta à Chambéry dans le Comté de Savoie  chez des frères dominicains. A partir de là, il repris son nom de baptême Filippo. Dans cette charmante petite cité marchante et ancienne capitale de la Savoie, il trouve un sobre asile chez ses anciens frères dans un des vingt-sept couvents que possède en France la Congrégation gallicane. C'est l'hivers et Giordano a une sainte horreur de l'oisiveté inutile et pernicieuse. Il entreprend de mettre de l'ordre dans ses manuscrits et les notes qu'il a amassée durant ces deux dernières années. S'il ne perd pas son temps, il s'aperçoit très vite que Chambéry, toute bucolique qu'elle soit, ne s'avère pas être la place idyllique pour philosopher en toute quiétude. Lors d'un entretien avec un père italien, il reçoit une sorte d'avertissement de ce dernier qui lui dit qu'il ne trouvera ici l'affection qu'il recherche et que s'il ne veut pas tomber d'inanition, il devrait se rendre à Genève.

Bruno rêve d'enseigner sa conception de l'Univers qu'il veut inscrire dans un "aggiornamento" de la foi chrétienne. Genève, la Rome calviniste de l'époque où semblait souffler un vent nouveau serait-elle la ville favorable a un tel programme? Bruno décida de suivre les conseils de ce père italien et partit donc pour Genève. Pour pouvoir vivre dans cette ville, Giordano trouve un emploi comme correcteur d'imprimerie. Le 20 mai 1579 il s'inscrit à l'Université de Genève réputée pour son ouverture d'esprit. Il se rend tout naturellement au cours de philosophie d'un certain Antoine de La Faye qui enseignait Aristote. En écoutant son cours Bruno constate que le savoir du professeur est fâcheusement lacunaire, il releva pas moins de 20 erreurs en une heure de cours. Pour démontrer l'incompétence de cet homme, Giordano pris la plume et rédigea un pamphlet. Etant correcteur il trouve le moyen de l'imprimer. Si Bruno espérait par son pamphlet démontrer ses solides connaissance d'Aristote et la piètre incompétence de ce professeur et être promu à sa place, c'est bien mal connaitre le fonctionnement d'un monde où les appuis politiques comptaient parfois plus que les connaissances elles mêmes. Le résultat de son libelle est à l'inverse de ses espérances, le professeur de philosophie furieux d'avoir été tourné en ridicule et de voir son incompétence publiquement dénoncée fait poursuivre Bruno. Solidement soutenu du coté politique il le fait jeter en prison. Le 6 aout 1579 il est entendu par le tribunal, conscient mais un peu tard de son comportement malavisé il doit faire amende honorable et doit détruit lui même publiquement son libelle. Il est ensuite excommunié. C'est un coup dure pour Bruno, Genève n'est décidément pas le havre de compréhension et d'ouverture qu'il espérait. L'intolérance du calvinisme n'a rien à envi à celle de l'Eglise de Rome. Où aller dans de telles conditions? Il est à Genève, la France est toute proche, il part donc pour la France.

En septembre 1579, il arrive à Lyon mais il ne trouve là ni université pour l'accueillir, ni l'auditoire intéressé à l'entendre. Il descend vers le sud passe par Valence, Avignon, Montpellier et arrive à Toulouse, capitale de cette province où Saint Dominique avait autrefois crée son Ordre. L'Université de Toulouse est réputée pour son enseignement de la Théologie et du Droit, Bruno espère intéresser voir séduire ce milieu d'érudits. Pendant dix-huit mois, il enseigne la philosophie, et en même tant la physique et les mathématiques bien que ses connaissances dans les deux derniers domaines doivent être assez réduites. Puis l'intolérance religieuse ressurgit. Durant l'été 1581, l'atmosphère politique de la province se dégrade, la révolte armée entre protestants et catholiques couve, les haines religieuses sont à leur paroxysme. Giordano Bruno préfère alors quitter ce chaudron d'intolérance où se idées risquent de le rendre suspect. Il décide d'aller à Paris où l'on dit que le roi Henri III fils de Catherine de Médicis est féru d'érudition et ouvert aux nouveautés de l'esprit.

A Paris, le roi entend très rapidement parlé de la présence de ce moine italien qui donne des conférences consacrées à Saint-Thomas et qui se distingue par une mémoire qui tient du prodige. Voulant juger par lui même le roi vit convoquer Bruno pour une audience privée. Durant cette audience Bruno fait part au roi de son profond désir d'enseigner. Séduit par la vivacité d'esprit et la science de son visiteur le nomma lecteur au Collège royal et il créa pour lui à la Sorbonne une chaire "extraordinaire" le dispensant d''assister aux offices religieux.  

Dans la capitale, les tensions religieuses finissent par devenir les mêmes qu'à Toulouse, . Refusant de prendre partie dans la querelle entre catholiques et protestants, il est montré du doigt par ses contemporains. Devant ce climat d'hostilité, il part, lettre de recommandation royale en poche, accompagner en Angleterre l'ambassadeur du roi de France, le Seigneur de Castelnau, En avril 1583, Bruno rencontre la reine Elisabeth. Bruno n'a qu'une envie en Angleterre s'imposer à Oxford, l'université la plus prestigieuse d'Angleterre. Sitôt arrivé dans la petite ville universitaire, Bruno décide de s'agiter, dans cette ruche d'érudits, il est pour lui hors de question de rester dans l'ombre. Il est venu pour faire connaître ses idées sur la conception physico-théologique de l'Univers. L'Université d'Oxford accepta d'écouter les théories de Bruno, malheureusement cela ne se déroula pas comme lui l'espérait.

Dès la première leçon, un auditeur éprouva le sentiment de déjà-vu, ou plutôt de déjà-lu, il garde ce soupçon pour lui mais  à la fin la mémoire lui revient, ce que professe Giordano Bruno vient mot pour mot d'une oeuvre de Marsile Ficin, philosophe italien et figure d'autorité sur son temps que l'orateur omet pourtant de mentionner. Dès la fin de la conférence, l'auditeur érudit en réfère au recteur de Christ Church. De concert, ils décident de mettre une nouvelle foi l'orateur à l'épreuve pour attester du plagiat. Nouvelle conférence, Bruno renouvelle ces citations textuelles tout en omettant de citer ses sources. Accusé de plagiat de citations d'auteurs par les docteurs d'Oxford, l'université de prestige lui est désormais fermée. Il retourne donc à Londres chez son protecteur l'ambassadeur de France.

L'accusation de plagiat est la mésaventure classique qui peut arriver aux individus à la mémoire très développée. Après avoir lui et s'être trouvé en accord avec le texte d'un auteur, ces personnes le mémorisent inconsciemment et peuvent ultérieurement le restituer mot pour mot sans se rendre compte d'un plagiat. 

Son séjour en Angleterre est particulièrement fécond en publication. Attaqué à plusieurs reprises sur ses idées, offusqué, il répondra systématiquement par la plume. Se succèdent ainsi "Le banquet des cendres" où il défend sa version de l'héliocentrisme copernicien, "De la cause, du principe et de l'unité", dans lequel il prend parti contre le protestantisme, De l'infini, l'univers et les mondes, où il expose ses idées sur l'infinité de l'univers et la multiplicité des mondes, "L'expulsion de la Bête Triomphante", sorte de réforme morale et religieuse, "La cabale du Cheval de Pegase" synthèse de ses idées en matière de cosmologie, et enfin, "Des Fureurs héroïques", formidable mosaïque de ses aspirations philosophiques.

De retour à Paris en 1585, il défend 125 thèses anti-aristotéliciennes au collège de France et provoque le désappointement de son public. Le Roi de France qui l'avait protégé jusqu'ici, l'abandonne à son tour. Dépourvu de tout soutien, il fuit la France pour il part ensuite pour six années d'errance dans les pays germaniques.

Après un bref passage à l'université de Marburg en Allemagne dont le recteur interdit l'accès au philosophe, Bruno rejoint la ville de Wittenberg où il donne des leçons sur les œuvres d'Aristote pendant deux ans. Son attitude toujours très controversée et ses idées sur l'infinité des mondes lui coûtent l'hostilité de l'astronome danois Tycho Brahé. Il quitte l'Allemagne pour Prague, terre des alchimistes, pendant un semestre. Son séjour auprès de la cour de Rodolphe II, mécène des astrologues et alchimistes de l'Europe toute entière, correspond à une évolution majeure dans la pensée du philosophe qui se tourne résolument vers la magie et l'hermétisme. Prague représentait en effet l'endroit idéal à l'expression des courants occultes, son empereur nourrissant l'espoir de trouver la pierre philosophale en s'entourant des plus imminents spécialistes de l'hermétisme et de l'ésotérisme. Bruno lui dédie alors un traité contre les mathématiques pour lequel il reçoit un léger tribut mais aucun emploi.

En 1588, il gagne la petite ville d'Helmstedt où il s'inscrit à l'Academia Julia. Les ouvrages magiques de Bruno n’auraient peut-être jamais vu le jour sans Jérôme Besler, son disciple : c’est à lui que l’on doit leur transcription manuscrite. Frère du plus connu Basile Besler, pharmacien et botaniste de son état, cet étudiant allemand de Nuremberg a sans doute d’abord rencontré le Nolain à l’Université de Wittenberg où il s’est inscrit le 17 octobre 1586, avant celle de Helmstedt qui enregistre son inscription le 19 novembre 1589. Il se heurte rapidement au pasteur et surintendant de l'Église luthérienne Gilbert Voët. Le temps de rédiger trois traités de magie dont le De Magia exposant la manière de se lier aux démons et la dimension magique de l'imaginaire, il est excommunié une nouvelle fois et se réfugie au couvent des Carmélites de Francfort malgré son avis d'expulsion.

Après plus d'une quinzaine d'années d'errance en dehors de son pays natal, Giordano Bruno décide en 1591 de rentrer en Italie. Son rêve briguer la chaire de mathématiques de l'Université de Padoue. Malheureusement, l'Université ne donne pas suite à sa candidature. Giovanni Mocenigo un patricien vénitien envoya fin août de l'année 1591, une invitation à Bruno dans le but que ce dernier lui enseigne la géométrie, l'art d'inventer et plus que tout la mnémotechnique. Son but était d'apprendre de lui les secrets de sa science et d'exploiter ses facultés extraordinaire de mémoire afin de briller dans les salons de Venise. En décembre 1591, Bruno choisit de ne pas résider immédiatement chez Mocenigo mais dans une petite auberge profitant de cet intermède pour être introduit dans certains cénacles intellectuels vénitiens. Venise est en effet à l'époque une ville ou patriciens lettrés et esprits novateurs se réunissent volontiers au sein d'académies privées. Le libraire Ciotti introduit Giordano dans le cercle du Palzzo Morosini où le maitre de ces lieux aime réunir érudits et gens cultivés pour s'entretenir de littérature et de philosophie. Giordano est bien accueilli et rencontre là des interlocuteurs de qualité dont le père Paolo Sarpi, expert à la fois scientifique et théologique du Conseil des Dix qui a osé braver l'autorité romaine lors des conflit entre Venise et le pouvoir papal. C'est là qu'il rencontrera également au moins une fois Galilée.

En mars 1592, Giordano Bruno emménage au palazzo Mocenigo. Malheureusement, les rapports entre l'hôte et l'invité se détériorent dès les premières semaines. Mocenigo fait pars au libraire Cotti des griefs qu'il nourrit à l'égard de son invité. Il estime qu'il n'en a pas pour son argent, que Bruno ne lui communiquerait pas son savoir et que ses propos sur la religion seraient plus qu'équivoques. Il est vrai qu'enseigner à Mocenigo n'est pas la priorité de Bruno qui considère que sa seule présence constitue un honneur pour son hôte. Puisque Ciotti doit se rendre à Franckfort à la foire du printemps, Mocenigo lui demande de se renseigner là-bas sur la réputation de Bruno. A son retour de Franckfort, Ciotti semble confirmer les soupçons de Mocenigo. Il lui dit que l'option qui prévaut en Allemagne sur Bruno est qu'il est un homme sans religion. 

Cela commence à sentir le roussit. Le 21 mai 1592, les évènements vont se précipiter lorsque Bruno fait part à son hôte de son désir de s'absenter temporairement à Francfort pour surveiller l'édition d'un nouvel ouvrage. Mocenigo vexé fait ligoter le Nolain par ses valets durant la nuit du 22 au 23 mai et le livre à l'Inquisition en l'accusant d'hérésie. Arrêté et emprisonné, Bruno se retrouve devant le "Saint-Office" le tribunal de l'Inquisition qui avait pour mission de démasquer les hérétiques et les faire abjurer. Il  est accusé d'hérésie, d'apostasie, de blasphèmes envers le Christ, d'avoir renier les dogmes de la Trinité, de la virginité de Marie et de la transsubstantiation (que le concile de Trente venait juste de valider). Il est également accusé d'enseignements contre la religion avec ces thèses sur l'infini du monde, la pluralité des mondes habités et la transmigrations des âmes. Son procès durera sept longues années. 

Durant cette longue période d'emprisonnement on lui administrait régulièrement la torture. Il lui arrivait alors de lâcher du lest, d'esquisser un geste de rétractation avant de se reprendre. Désireux d'en finir, le pape Clément VIII somme une dernière fois Bruno de se soumettre.  L'entêté réplique : « Je ne crains rien et je ne rétracte rien, il n'y a rien à rétracter et je ne sais pas ce que j'aurais à rétracter ».  La situation est bloquée.  Le 20 janvier 1600, Clément VIII ordonne au tribunal de l'Inquisition de prononcer son jugement. A la lecture de sa condamnation au bûcher, Bruno a commenté la sentence prononcée contre lui avec un courage peu ordinaire : "Vous éprouvez sans doute plus de crainte à rendre cette sentence que moi à l'accepter".

Le tribunal de l'Inquisition le chasse de l'Eglise comme "hérétique impénitent" et le remet à une cour séculière qui le condamne à mort. Au petit matin du 17 février 1600 sur le Campo de' Fiori, Giordano Bruno a 52 ans monte nu au bûcher sur ordre du pape, devant une foule stupéfaite qui n'avait aucune idée de la raison de l'exécution de cet homme. On le ligote au poteau du bûcher de l'Inquisition et là, défiant encore l'autorité, il détourne son regard du crucifix qu'on lui présente. On fixe alors un mors de bois destiné à l'empêcher matériellement de hurler une dernière fois sa révolte et ses convictions. Il meurt brulé vif en n'ayant jamais rien cédé devant l'Inquisition. En sept années de tortures, il n'abjura rien de sa vision du monde. Tous ces ouvrages que les juges purent trouver furent brûler sur la place Saint-Pierre.

Il est intéressant de noter que le cardinal qui instruisit les interrogatoires lors des sept années de procès de Giordano Bruno, le cardinal Robert Bellarmin, fut béatifié par l'Eglise en 1923, canonisé en 1930 puis finalement nommé docteur de l'Eglise en 1931 par le pape Pie XI. Ce cardinal est également l'homme qui ordonna à Galilée en 1616 de cesser d'enseigner comme vérité le système héliocentrique de Copernic, qui devait rester, selon lui une simple hypothèse mathématique. Son interdiction fut rappelée lors du procès de Galilée en 1633 ce qui conduisit à l'abjuration de ce dernier.

Le 3 février 2000 à l'occasion du 400ème anniversaire de la mort de Giordano Bruno, le Cardinal Poupard, président du conseil pontifical pour la culture, (organisme qui réhabilita Jan Hus et Galilée) a exprimé les regrets de l'Eglise devant les buchers de l'Inquisition en affirmant qu'ils étaient incompatible avec la vérité évangélique (sans déconner). Cependant il confirma que Bruno ne serait pas réhabilité, même s'il y avait lieu de déplorer l'usage de la force employée contre lui : "La condamnation pour hérésie de Bruno, indépendamment du jugement qu'on veuille porter sur la peine capitale qui lui fut imposée, se présente comme pleinement motivée." déclara le cardinal. Le "Saint"-Siège regrette donc du bout des lèvres, le bûcher mais maintient toujours au XXIème siècle la validité théologique de la condamnation. Ils ne peuvent guère faire autrement puisque l'inquisiteur responsable des condamnations de Bruno et de Galilée fut béatifié, canonisé et fait Docteur de l'église….

Giordano Bruno


Visionnaire exceptionnel, Giordano Bruno de son vrai nom Fillipo Bruno est l'un de ces hommes des siècles passés qui suscite l'admiration. Dans l'histoire de l'humanité, c'est le symbole même du courage intellectuel et de l'homme incompris trop en avance sur son temps. Par rapport à une époque donnée, c'est pour moi la personne qui apporta les idées les plus audacieuses et les plus révolutionnaires. Il s'est radicalement singularisé de la pensée de ses pairs en prônant des idées choquantes et blasphématoires pour son temps telles que la non-création du monde, l'infini de l'univers, la pluralité des mondes habités. Il défendit ardemment ses idées allant même jusqu'à mourir sur le bucher, condamné par l'Eglise de Rome pour avoir refusé de se repentir. Ses travaux continue à notre époque de bouleverser totalement notre schéma de pensée.

Héritage de Giordano Bruno

A son époque, il est admis depuis presque deux millénaires que le soleil ainsi que tous les astres tournent autour de la Terre qui est une planète immobile au centre de l'univers. Partisan de la théorie copernicienne héliocentrique, Bruno l'enseigne à ses étudiants mais en allant beaucoup plus loin. Là ou Copernic pensait que le soleil était une étoile unique dans un univers fini et étroit, Bruno proclame que l'Univers est infini, dépourvu de centre et qu'au-delà de notre système solaire se trouvent d'autres astres, d'autres soleils comparables au nôtre ainsi qu'une multitude de planètes susceptibles d'abriter la vie.

« Nous affirmons qu'il existe une infinité de terres, une infinité de soleils et un éther infini. » (De l'Infini, de l'Univers et des Mondes)

Trente années avant Galilée, sans aucune sorte de lunette astronomique, Giordano Bruno pressenti l'infini avec pour seul instrument un jugement non imprégné des grands dogmes de l'Eglise catholique...

Bien qu'il ne fut pas reconnu comme un "véritable savant mais comme un dominicain, philosophe et écrivain, on ne peut qu'admettre que Giordano Bruno arrivait à démontrer des faits implacables de la physique avec une justesse et une facilité déconcertante. Selon Aristote, la Terre était immobile, la preuve, si l'on fait tomber du haut d'un arbre ou d'une tour, une pierre, elle tombe verticalement ; pour lui si la Terre tournait, la pierre se déplacerait pendant le temps de la chute et l'endroit où elle tomberait serait décalé dans le sens inverse du mouvement terrestre. Bruno démontra cette fausse preuve de la fixité de la Terre. Si on lâche une pierre du haut du mât d'un bateau en mouvement, elle tombera toujours au pied du mât, quel que soit le mouvement du bateau par rapport à la rive. Bateau, mât et pierre forment ensemble ce qu'on appellera plus tard un système mécanique. Il démontra qu'il était impossible de déceler le mouvement d'un système mécanique par des expériences réalisées à bord de ce système lui-même. En montrant qu'on ne peut envisager le mouvement d'un corps dans l'absolu, mais seulement de manière relative, en relation avec un système de référence, Bruno ouvre la voie aux travaux de Galilée. 

« Toutes choses qui se trouvent sur la Terre se meuvent avec la Terre. La pierre jetée du haut du mât reviendra en bas, de quelque façon que le navire se meuve. » (Le Banquet des cendres).

Pour justifier ensuite ses théories sur l'Infini Bruno affirma que l'observation par les sens devait être être soumise à l'intelligence. Il cite par exemple le fait que l'horizon n'est pas le même si on se trouve au niveau de la mer ou sur une colline voisine. Il n'y aurait pas donc selon lui d'horizon absolu mais seulement un horizon relatif au point d'observation. De cette même façon, les étoiles qui semblent être accrochées à la sphère fixe ne représenterait que l'horizon relatif au point d'observation de la Terre. On voit ici que Giordano Bruno a plusieurs siècles d"avance sur tous ses contemporains.

« Concernant la mesure du mouvement des corps célestes, la géométrie ment plutôt qu'elle ne mesure. » 

« C'est à l'intellect qu'il appartient de juger et de rendre compte des choses que le temps et l'espace éloigner de nous»

Comme ses adversaires ne se laissent pas convaincre par son argument, Giordano Bruno en trouva deux autres. Tout d'abord, il affirme que vouloir décréter que l'univers est fini et que le firmament en est sa limite est une absurdité puisque cela supposerait qu'il y aurait quelque chose derrière. Idée qui entre en contradiction totale avec l'affirmation que le firmament est la limite ultime et absolue. Il ne peut pas à la fois avoir une limite ultime et quelque chose derrière. 

« Nous déclarons cet espace infini, étant donné qu'il n'est point de raison, convenance, possibilité, sens ou nature qui lui assigne une limite. »(L'Infini, l'Univers  et les Mondes).

Son dernier argument est plus théologique, il affirme qu'un Dieu infini et infiniment bon n'a pu créer qu'un univers à sa mesure, donc un univers infini. 

« Ainsi donc les autres mondes sont habités comme l'est le nôtre ? demande Burchio. Fracastorio, porte-parole de Bruno répond : Sinon comme l'est le nôtre et sinon plus noblement. Du moins ces mondes n'en sont-ils pas moins habités ni moins nobles. Car il est impossible qu'un être rationnel suffisamment vigilant puisse imaginer que ces mondes innombrables, aussi magnifiques qu'est le nôtre ou encore plus magnifiques, soient dépourvus d'habitants semblables et même supérieurs. » (L'Infini, l'Univers et les Mondes).

L'audace des idées de Giordano Bruno

A l'époque, Bruno n'ignorait nullement que ses doctrines étaient sujets à de vives controverses mais il soutenait pourtant que celles-ci étaient les seules à être compatibles avec l'infinité de Dieu et l'image de l'inépuisable perfection divine. 

Il poussa l'audace jusqu'à aborder la question de l'immortalité de l'âme. Pour lui, l'âme ne périt pas à la mort, elle échange sa première habitation pour une nouvelle. Il l'a voit passer de corps en corps et même de monde en monde, c'est le principe même de la transmigration des âmes (ou réincarnation).

Pour lui, Dieu n'est pas hors de l'univers, mais il fait partie intégrante de tout, c'est la substance et la vie de toutes choses. Il considère l'univers comme une sorte "d'organisme" immense dont Dieu est la grande âme, l'énergie créatrice, la force impulsive.

"Dieu est infini dans l'infini partout en toute chose, ni au-dessus ni à l'extérieur mais totalement intime à toute chose."

"Il n'y a qu'un ciel, une immense région éthérée où les magnifiques foyers lumineux conservent les distances qui les séparent au profit de la vie perpétuelle et de sa répartition. Ces corps enflammés sont les ambassadeurs de l'excellence de Dieu, les hérauts de sa gloire et de sa majesté. Ainsi sommes-nous conduits à découvrir l'effet infini de la cause infinie ; et à professer que ce n'est pas hors de nous qu'il faut chercher la divinité, puisqu'elle est à nos côtés, ou plutôt en notre for intérieur, plus intimement en nous que nous ne sommes en nous-mêmes.

"Tous ces mondes innombrables que nous voyons dans l'univers, n'y sont pas dans un lieu qui les contient, comme une limite et un espace, mais plutôt comme dans un Etre qui en assure la cohésion et la conservation, comme dans un moteur et un efficient. Cet efficient est compris tout entier dans chacun des mondes, comme l'âme est tout entière dans chacune des parties de l'univers. dès lors, bien qu'une monde particulier se déplace vers un autre et autour de lui, comme la Terre vers le soleil et autour du soleil, néanmoins, au regard de l'univers, rien ne se meut ni vers lui, ni autour de lui, mais en lui."

Sa conception du mal fut également totalement surprenante pour son époque. Se plaçant du point de vue de l'optimisme, il démontra que le mal, et partant le diable, qui en est le symbole, ne saurait avoir d'existence absolue, et que tout est bien dans le monde parce que tout y est nécessaire et divin.

Il se remis à contester la théorie de la Trinité, il est donc un précurseur des doctrines unitaristes. Par conséquent, la nature divine de Jésus est niée, pour lui le Christ ne serait qu'un prophète. Il conteste également la virginité de Marie et la transsubstantiation.

Sans amabilité ni délicatesse, il déclame :

"Le Christ ? Un séducteur.
La virginité de Marie ? Une aberration.
La messe ? Un blasphème.
La bible ? Un tissu de mensonges.
Les théologiens ? Des pédants qui ‘froncent le sourcil’ pour se donner l'air important.
Les philosophes ? Des pédagogues ignorants aveuglés par le culte des idéologies, (…) tous des ‘‘ânes bâtés’’ qui passent leur vie à gâcher tous les arguments qui leur viennent aux lèvres (…) pendant que lui,‘‘intrépide chevalier errant du Savoir, part en guerre contre les fausses certitudes…
Non, les femmes ne sont pas moins intelligentes que les hommes.  Non, les gens d'église ne devraient pas jouir de si grands biens mais se contenter d'un peu de bouillon ; non, les Espagnols n'ont pas bien fait de découvrir l'Amérique, car ils ont ‘‘violé la vie d'autrui’". 

En 1588, Bruno écrit que sa propre religion « est celle de la coexistence pacifique des religions, fondée sur la règle unique de l'entente mutuelle et de la liberté de discussion réciproque ». S'il fait confiance à la raison « de tout un chacun », Bruno méprise les dogmes qui empêchent la réflexion.

Pour l'église, Bruno est un hérétique, il représente le mal, l'horreur car à l'époque il est impensable de blasphémer le Christ et de renier les dogmes catholiques d'autant plus lorsque l'on est prêtre. Toutes ces choses lui seront reprochées durant son futur procès.

Au sens premier du terme, Giordano Bruno est bel et bien un hérétique puisque ce terme vient de haireo en grec qui signifie choisir. Brillant philosophe, homme de lettres, de foi et de sciences, Giordano Bruno aurait pu très facilement mener une vie agréable d'érudit de son époque. Pourtant, il a fait le choix de faire passer ses convictions et ses réflexions avant ses intérêts propres. Sans probablement le vouloir il est devenu le symbole de la lutte acharnée de la conscience sur le dogmatisme.